« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et moi je vous donnerai du repos. Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger … » (Matthieu 11, 28-30)
Pas mal actuel cet appel de Jésus, aujourd’hui, où on risque tous d’avoir un jour ou l’autre un burn-out. Psychologiquement. Mais peut-être aussi spirituellement ?
C’est quoi, ce joug, cette fatigue ? C’est quoi, ce repos ? Le repos de quoi ?
Jésus l’indique lui-même. Juste avant cet appel il dit : « Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père – et personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler… » C’est de cette proclamation que découle l’appel : « Venez à moi… ! »
Le faux joug que Jésus veut remplacer, cette charge inadéquate est donc le poids de « ce que le Père n’est PAS », de que Jésus n’a PAS révélé. La fausse image du Père. Ce qui l’a remplacé. L’idole. Qui fatigue et encombre et dont nous sommes joyeusement invités à nous débarrasser, puisque nous ne pouvons pas porter deux « jougs » en même temps, mélanger des visions sur Dieu qui se contredisent : celle du monde, qui s’avère illusion, car elle pense être autonome, ne pas avoir besoin de cette révélation. Et celle du Royaume, qui s’avère vérité, car elle laisse Dieu être Dieu, elle laisse Dieu lui-même dire qui il est.
Comme souvent, Jésus utilise des images pour décrire cette autre dimension : celle du Royaume, cette autre réalité qui demande un autre regard, car elle ne nous est pas familière. Ce n’est pas d’une fatigue, d’une charge et d’un repos physiques ou psychiques qu’il parle ici. Ceux-ci sont importants mais pas la priorité absolue. Jésus parle d’une réalité spirituelle, pas moins mais plus réelle. Qui tourne autour de Dieu et de son identité, sa manière d’être et de faire. Toute la vie de Jésus et toutes ses paroles visent à éclairer cette réalité, parce que c’est la VRAIE réalité, même si l’être humain risque constamment de la perdre de vue. Jésus la ramène tout aussi constamment au centre ! Pour que le reste, toutes les autres pièces du puzzle humain, psychologiques et physiques, se mettent en place autour de ce centre. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu … et le reste vous sera donné en plus. » (Matthieu 6, 32)
« Personne ne connaît le Père… ». Autant dire que les contemporains de Jésus ont mal compris le Père, qu’ils ne le voient pas bien, qu’ils sont à côté de sa réalité, donc dans le péché. En Matthieu 6, 22-23 Jésus montre comment notre aveuglement, notre manière de percevoir la réalité sans lui, affecte tout notre être et tout notre faire : « Si ton œil est malade, ton corps tout entier sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi (ta capacité de voir Dieu à l’oeuvre) est ténèbres, quelles ténèbres ! »
Je suis frappée par le fait que l’humilité de Jésus n’est pas, mais alors pas du tout comme celle du monde, comme nous la définissons habituellement. Ici aussi, la dynamique du Royaume diffère de la nôtre : le mot « vérité » a souvent pour nous un goût un peu douteux et même sectaire. Mais Jésus ne se gêne pas de dire que Dieu, son Père, est différent de ce que les gens ont l’habitude de penser, qu’ils sont à côté de la plaque et que, pour rectifier le tir (=sortir du péché) il faut venir à lui.
Non pas parce qu’ « il faut » ! Mais parce que c’est dans la découverte nouvelle de qui est Dieu que se cache le vrai repos. Comme, selon la version de Luc 10, 21, c’est dans la découverte de qui est Dieu qu’on trouve la vraie joie (C’est la seule fois où il est mentionné que Jésus se réjouit, qu’il exulte : je te loue, Père, d’être ainsi… !) Et comme, dans un autre contexte, celui de Jean 14, 27, c’est dans la présence de Jésus qu’on trouve la vraie paix, qu’il ne donne « pas à la manière du monde ».
PAS le repos, la joie et la paix du monde. Seigneur, pardonne-moi, car toi, tu t’es préparé pour Dieu – et tu nous as préparés pour lui – en mourant sur une croix. Mais moi, je vise le bien-être physique, psychologique, ou même mon petit spa spirituel privé. Mais tu ne donnes pas comme le monde donne. Tu ne donnes pas des choses. Tu te donnes toi-même. Et tu promets que, dans cette relation (et seulement dans cette relation !) nous trouverons le repos, ton repos, qui dépasse tout ce que nous pouvons connaître autrement et ailleurs. Pardon, Seigneur, car ton Royaume et son langage sont si différents de ma version, de ma vision de la réalité. Tu me déstabilises, tu mets tout en question…
Avec quelle soif tu parles de cette autre réalité, où tout, absolument TOUT, découle de la Réalité de qui est ton Père ! Tu veux nous la communiquer, cette soif … mais sommes-nous intéressés ? Nous sommes si occupés, si obnubilés par les contraintes du monde, ses critères, sa manière de voir, d’être et de faire. Nous sommes tellement emprisonnés dans l’illusion que nous n’avons même plus envie d’en sortir pour aller vers ta Vérité qui nous libère…
Pourtant, tu ne poses aucune condition, si ce n’est celle de … venir à toi ! Pour reconnaître, dénoncer et renoncer aux fausses images sur Dieu, sur nous, sur les autres ; pour prendre la Vérité qui vient de toi. Quelle aventure ! Mais alors, qu’est-ce qui m’empêche de venir ? Pourquoi il y a en moi une telle résistance ?!
Je pense que c’est ma peur de perdre le contrôle, Seigneur. De ne plus maîtriser. Ta réalité m’échappe, je ne peux pas la contrôler, pas la manipuler, l’adapter à mes besoins émotionnels ou rationnels. Et je ne peux pas me connecter à ta réalité comme à la nôtre, alors la tienne m’apparaît si souvent un peu irréelle, insaisissable, floue. Tu me dis que ta réalité est plus grande et plus solide que la mienne, mais moi j’ai tendance à voir que ce que je vois avec ma vue défectueuse à moi, et c’est difficile de choisir ton regard davantage que le mien, de chercher ton Royaume davantage que « le reste ». En plus, elle est justifiée, ma peur de perdre le contrôle! Dans un certain sens je vais le perdre, ce contrôle, ma maîtrise du volant de ma vie.
Car tu es si exigeant, ton amour est si exigeant ! C’est beau de le dire mais pas facile à vivre. Si je te demande de te révéler, mais « sous condition », c’est-à-dire, en voulant te faire passer par les filtres de mes idées toutes faites, en t’emprisonnant dans mes divers moules, j’abuse de toi et tu te détournes, triste et fâché. Car tu veux que je sache que tu es Dieu, et moi ta créature. Pas l’inverse. Mais si je m’ouvre vraiment à toi, tu vas venir, et si je suis vraie et honnête avec toi, il y a TOUT-TOI qui va venir, et non pas le tri stérile que je fais parfois de toi. Et alors, ce n’est pas du repos du tout !
Seigneur, je veux garder le contrôle, car on m’a fait mal et j’ai peur de revivre cette expérience. Alors, au lieu de m’offrir, moi, je t’offre des choses. C’est moins contraignant. Comme ça je peux te garder à distance. En faisant des choses pour toi.
Mais j’ai découvert que tu ne te contentes pas du tout de mes belles choses. J’ai vu, avec joie mais aussi avec trépidation, que tu me désires, moi. Tout ce paquet complexe et compliqué qui s’appelle moi, tu le désires, et tu veux aller jusqu’au bout de moi, et où ça va s’arrêter ?!
En plus, je découvre en même temps que, avec autant de passion que tu me désires, tu veux que je te désire, toi. Cette « vérité toute entière » à laquelle l’Esprit de Vérité veut me faire accéder(Jean 16, 13), tout ce paquet complexe et compliqué pour moi qui s’appelle Dieu, tu veux être désiré, et tu veux que j’aille jusqu’au bout de toi, et où ça va s’arrêter ?!
Comment m’abandonner à toi dans une relation de plus en plus intime, moi qui ai l’habitude de fonctionner en mode solo ? Comment accepter de dépendre de toi dans une grande « faiblesse » selon les critères du monde, moi qui ai appris depuis toute petite à me débrouiller seule, à être forte, pour me protéger, pour ne pas me faire avoir ?
Et puis (argumente ma chair, qui se rebelle et devient inventif !), n’est-ce pas un peu exagéré, tout ça ? Mieux vaut regarder le verre moitié plein et me contenter de ce qu’on a déjà, connaît déjà, et de ce qui se fait déjà…
« C’est exactement ce que mes contemporains ont dit aussi ! », tu me rétorques. « Qu’est-ce que tu nous compliques la vie avec tes demandes de conversion … On le connaît déjà, Dieu ! On n’a pas besoin de toi pour ça ! Pour qui tu te prends et où veux-tu nous amener ? Notre spiritualité du moment nous suffit largement : nous préférons faire des choses pour Dieu. Ok, pour toi aussi. De belles choses, et en ton nom en plus. Regarde ce qu’on fait pour toi, ce n’est pas beau ça ?! Alors, laisse-nous tranquilles ! »
Mais, dans ta grande humilité de vouloir servir ton Père et les humains, tu ne les laisses pas tranquilles : « Je ne vous ai pas CONNUS ! » (Matthieu 7, 23). Ecartez-vous de moi, que la réalité apparaisse : vous n’avez pas voulu me connaître, vraiment-moi : vous m’avez fui.
Quelle tristesse dans tes mots ! Quel désir d’autre chose, quelle soif en toi d’aller plus loin, quel ras-le-bol de ce qui vient du monde et ne présente toujours que plus de la même chose. Quel désir de nouveau !
C’est pour ça que tu ne nous laisses pas tranquilles non plus. Ton Amour nous bouscule, nous pousse ailleurs, plus loin dans la relation intime avec Dieu, ton Père, notre Père.
Plus loin … Cela me rappelle le fameux passage de 1 Corinthiens 13. Si beau, si souvent choisi pour la célébration des mariages… Mais seulement si je m’arrête au moment politiquement correct. Qui fait croire qu’il s’agit de l’amour « version du monde », limité à ce que l’humain peut produire de par lui-même ; que ça soit dans son amour pour le bien-aimé ou pour tout prochain … Mais si je vais jusqu’au bout, je tombe sur une autre réalité, je m’y heurte carrément … un autre Amour que celui que je trouve dans mes ressources humaines. Un Amour que je ne peux connaître QU’en Dieu. Ici, maintenant, déjà un peu. En te voyant dans ta réalité, Seigneur, mais encore comme à travers un brouillard épais. En me voyant dans ma réalité, Seigneur, mais encore comme à dans un miroir très sale. – Mais un jour je verrai clair ! Totalement ! Sans « Oui mais… » C’est la promesse, c’est TA promesse !
Et Paul, pourtant si pleinement dans le monde, dans la réalité de tous les jours… qu’est-ce qu’il se réjouit follement de cette connaissance nouvelle de toi, encore sur un autre niveau, encore dans une autre dimension. Il n’a pas peur du tout que cette soif balayerait ou dénigrerait la réalité humaine. Il sait que le Royaume la met juste dans la bonne perspective. Et que, contrairement à ce qu’on entend toujours dire, elle n’en devient que plus belle, plus importante, quand on y trouve plein de signes, de promesses d’un monde à venir. Où non seulement nous, mais la création toute entière sera sauvée, restaurée, rendue nouvelle. Alors Paul s’y prépare.
Et comment moi, je m’y prépare ? A te voir, mon Dieu, face à face ? A te connaître enfin comme tu me connais, t’aimer enfin comme toi tu m’aimes, inconditionnellement ? Sans peur, sans réserves, sans contrôle, car tout ça devient totalement dépassé au moment même que je te vois enfin totalement comme tu es…
Comment je m’y prépare ?
Peut-être, par exemple, en priant et en jeûnant. Tout ce qui nie Dieu et nuit à sa personnalité et à la nôtre, tout cela ne sort que par la prière et le jeûne (Matthieu 17, 21). Oui, Seigneur, moi aussi, je veux jeûner. Je suis fatiguée et chargée de ce qui n’est pas toi et ne vient pas de toi. Fatiguée de mal te voir et de te juger selon les critères du monde. Je suis chargée de ces critères du monde, ras-le-bol, je veux être libre ! Je suis épuisée de ma compulsion de tout contrôler, cette illusion comme quoi l’essentiel dépendrait quand même de moi. Je t’ai entendu dire : « Stop ! Mon Père n’est pas comme ça et le Royaume ne fonctionne pas comme ça ! »
Merci Seigneur, parce que je peux CHOISIR ! Tu ne dis pas : « Prenez mon joug, ah non, pardon, c’est trop difficile ! » Alors je te choisis, avec cette partie en moi qui peut. Avec ma volonté. Le reste suivra ! Je te choisis même contre mes émotions malades, qui veulent régner sur moi et qui souvent me tyrannisent et me manipulent. Je te choisis comme tu te présentes dans les Ecritures, même contre ma raison malade qui veut t’adapter à mes critères. Je choisis la Vérité que tu es bon et fiable, que tu prends soin de moi jusqu’au dernier détail, puisque tu connais le nombre de mes cheveux… même si l’esprit du temps me dit que c’est exagéré et qu’il faut être raisonnable… même si mes propres blessures me disent que ce n’est pas vrai, que TU n’es pas vrai.
Je te choisis, même si tu m’échappes et que je ne te sens plus et que je ne sais plus qui tu es ou qui je suis… Je me mets tout entièrement dans cette réalité de tes promesses, librement. Jamais parfaitement, toujours influencée par d’autres voix, souvent la peur au ventre, ma résistance furieuse car n’ayant pas le dernier mot ! Mais – je te choisis.
Et en choisissant je sors de ma position de victime et je suis déliée, déchargée de mon faux fardeau, des mensonges que ton adversaire veut me faire croire sur toi. Sur moi. Sur mes prochains.
Et lui, lui sera lié. La bouche du menteur par excellence sera close. (Psaume 63, 12 ; Jean 8, 44-47). Je crois que c’est comme ça que je peux me préparer à te rencontrer face à face : en exerçant mon mandat de créature déjà un peu nouvelle en toi, mon Seigneur et mon Dieu (2 Corinthiens 5, 17). En te choisissant.
Ah, j’allais presque oublier : et en ayant soif de toi ! Simplement. Avec Jésus. Avec Paul. Avec la création toute entière, qui attend avec impatience la révélation de la gloire des enfants de Dieu : enfin restaurés, enfin libres, jusqu’au bout. Enfin – vraiment nous-mêmes.
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